Les talons de la danse (2/3)

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Dans la première partie de cet article, j’ai présenté le sujet du port des talons dans son ensemble, ainsi que ce que cela change par rapport au fait de ne pas porter de talons. Je continue d’approfondir ce sujet en rapport avec nos pieds tellement sollicités lors de la danse en prenant un point de vue physiologique voire médical. En particulier, je détaille quel impact le port de talons hauts a sur notre corps tout entier (et pas seulement pour nos pieds), illustrations à l’appui.

1. Origines historiques et marche sur talons hauts
2. Des contraintes et des maux pour tout le corps (cet article)
3. Danser sur des chaussures à talon

PARTIE 2
Les chaussures à talons : des maux pour le corps

Si l’on essaye d’imaginer l’impact du port de talons sur notre corps, nous vient immédiatement à l’esprit les pauvres top-models qui présentent les nouvelles collections de haute-couture et qui défilent sur les podiums sur des talons hauts de telle manière que bon nombre d’entre elles ont connu des chutes en se tordant une cheville. Cela dit, il y a des conséquences beaucoup moins visibles que ces problèmes d’équilibre, sauf pour celles qui les ont vécues. Je me base pour la suite sur une série d’études parues entre 2001 et 2005 dans des revues médicales spécialisées américaines comme le « Journal of Experimental Biology ».

Le port de talons place le pied et toutes les parties du corps qui lui sont liées dans une position qui n’est pas naturelle. Cela entraîne inévitablement des maux qu’on n’aurait pas eus sinon. De plus, le frottement ou la sollicitation répétée de certaines parties du pied ou du corps produisent aussi des conséquences locales désagréables. Passons donc en revue tout cela.

Impact sur les pieds
Commençons par l’endroit le plus évident : les pieds. Outre les entorses que j’ai mentionnées plus haut, le port de chaussures à talons implique des complications moins évidentes. Les chaussures à talon portées par les femmes sont généralement plus fines que les chaussures sans talon. Cela a pour conséquence de comprimer les muscles, tendons et petits os qui forment le pied. Les conséquences de la compression du pied dans la chaussure sont diverses : oignons, cors, etc. En particulier, on peut rencontrer des cas d’hallux valgus où le gros orteil dévie, formant ainsi une boule au niveau de l’articulation à l’intérieur du pied. Même si ce problème peut avoir des origines génétiques, le port de chaussures à talon haut (et parfois le port de chaussures tout court…) ne fait qu’agraver la situation. Il y a aussi le syndrome de Haglund est une inflammation du talon s’accompagnant de douleurs dues à la survenue d’une saillie anormale sur la partie postérieure du calcaneus (os du pied où est rattaché le tendon d’Achille) qui frotte contre la partie arrière de la chaussure. Les pieds y sont particulièrement sensibles en hiver. De plus, l’inclinaison de la chaussure à semelle rigide et talon haut fait plus ou moins glisser le pied vers l’avant, ce qui comprime tous les orteils (phalanges) contre l’avant de la chaussure (surtout si l’extrémité est en pointe) dans le cas de chaussures fermées et certains orteils contre les lanières ou le rebord de la chaussure dans le cas de chaussures ouvertes (et les orteils dépassent parfois de la chaussure). Cela peut être matérialisé par de la corne sur les articulations des orteils ou au niveau de la plante du pied. Il est donc ici important de préciser qu’il faut bien faire attention à l’adéquation de la taille des chaussures par rapport à vos pieds et que, dans les cas entre deux pointures, il existe des compléments de semelle intérieure adhésifs (aussi appelés anti-glissoires, cales talon, semelles antidérapantes, etc.) à mettre à l’intérieur de la chaussure (talon et plante). L’effet secondaire est, malgré tout et du fait de l’épaisseur ajoutée, de comprimer un peu plus le pied dans la chaussure pour le maintenir en place et cela peut entraîner des métatarsalgies (douleurs du métatarse).

Impact nerveux, musculaire, articulaire et osseux
La jolie ligne donnée aux jambes par le port de talons hauts est due en partie à la contraction des muscles des mollets. À la longue, le port très fréquent de talons hauts provoque un raccourcissement de ces muscles. Les études menées jusqu’ici montrent que le volume musculaire de personnes portant des talons de manière intensive est identique à celui de celles qui n’en portent pas ; en revanche, les fibres musculaires sont plus courtes dans le premier cas. Dans la continuité de ce raccourcissement, le tendon d’Achille a tendance à rétrécir, à s’élargir et à devenir moins souple. Cela ne pose a priori pas de problème lorsque l’on porte des chaussures à talon, mais cela devient gênant dès que l’on revient aux chaussures basses ou que l’on marche pieds nus puisque le tendon est étiré au-delà de sa position habituelle avec les talons hauts. C’est un effet pervers du fait que le corps s’adapte à l’environnement dans lequel il vit. Si le port des talons est systématique, le corps considérera qu’il s’agit de sa situation normale et il s’adapte en conséquence. Pour éviter cela, il faut donc alterner le port de talons hauts avec la marche à plat et l’étirement du tendon qui y est associée. Le port des talons hauts augmente aussi les tensions articulaires au niveau du genou, ce qui entraîne arthrose du genou due à une usure prématurée du cartilage. Il semble que le fait de porter des talons larges au lieu de talons fins ne change rien de significatif au problème. Seule la hauteur du talon compte. Une étude a montré que le port de talons pouvait augmenter la pression sur le genou de l’ordre de 26 pour cent par rapport à une situation sans talons. Et je passe sur les cas d’arthrose du genou qui est développée à la suite d’années entières à porter des talons hauts. J’aurais pu parler de ce qui suit dans le paragraphe relatif aux pieds, mais ici on parle aussi des nerfs. Le névrome de Morton est une autre affectation associée à une douleur particulièrement vive au niveau du troisième ou du deuxième espace métatarsien (entre les doigts de pieds). C’est un problème relatif au nerf digital comprimé dans des chaussures étroites.

Impact sur le dos
Lorsqu’on porte des talons hauts, la partie supérieure du corps est déséquilibrée vers l’avant. Il faut alors compenser en actionnant en permanence les muscles du dos afin de revenir à l’équilibre. En résumé, on se redresse. En cas de port prolongé de talons hauts, les muscles du dos agissent de telle manière que la lordose lombaire (courbure concave du bas du dos) s’en trouve naturellement accentuée : les fesses semblent ressortir et la cambrure du creux des reins augmente. C’est une posture qui est exagérée par rapport à la posture naturelle de départ. C’est cela qui entraîne certaines douleurs dans le dos. Pour éviter cela, il faut régulièrement s’étirer le bas du dos pour compenser les muscles qui auront tendance à rester en position rétractée.

Après avoir lu la première partie de cet article, on se dit que les talons ont beaucoup d’avantages esthétiques. En revanche, après avoir lu cette seconde partie, on se dit qu’il y a bien des inconvénients aussi. Certaines femmes portant fréquemment des talons disent d’ailleurs avoir du mal à remarcher pieds nus. Mais au final, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas porter de talons : cela veut simplement dire qu’il faut le faire en connaissance de cause et qu’il faut compenser les désagréments par un entraînement ou des exercices adéquats. Une jambe et un pied souples et bien musclés peuvent facilement être associés à des talons de toute hauteur. Un peu d’étirement (stretching) et un renforcement musculaire naturel par la danse sont donc tout à fait conseillés dans ce cas.

Pour conclure cette partie, il faut se dire que si l’on force le corps dans une certaine position répétée, ce dernier va tenter de s’adapter au mieux à la nouvelle situation selon sa constitution (et avec ses limites). C’est le principe de l’entraînement. Le problème est qu’il s’adapte parfois tellement qu’il ne peut plus spontanément revenir dans sa position naturelle d’origine, sauf si on l’entraîne dans l’autre sens. Je rementionnerai d’ailleurs le sujet de l’entraînement dans la prochaine partie de cet article qui sera consacrée au port de talons pour la danse puisqu’il est déconseillé de s’entraîner en changeant de hauteur de talon à tout bout de champ. Rendez-vous donc dans quelques jours pour la fin de ce long article consacré aux talons !

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