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Portrait swing du lion

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Cela faisait un certain temps que je n’avais pas présenté de morceau de musique dans ce blog. Il s’agit évidemment d’un titre sur lequel on danse. Et pour pouvoir vous raconter quelques anecdotes sur le sujet, j’ai choisi « Portrait of the Lion » de Duke Ellington. C’est un morceau swing (et non une chanson comme les précédents titres que j’ai abordés ici) sur lequel j’ai longtemps répété un enchaînement chorégraphique au sein d’une troupe professionnelle il y a quelques années et cela m’a fait tout drôle de le réécouter récemment.

Alors qu’est-ce donc que cette histoire de lion qu’on prend en photo ? En réalité, il n’y a ni animal à crinière, ni appareil photographique dans l’histoire. Lorsque Duke Ellington compose « Portrait of the Lion » en 1939, il pense en réalité à un de ses pianistes modèles : Willie Smith, surnommé « le Lion » pour rappeler sa bravoure durant la Première Guerre mondiale. Ce dernier est l’un des maîtres du piano stride (bien souvent identifiable par son inséparable chapeau melon et son inamovible cigare) dont Duke Ellington a beaucoup appris au point de lui dédier non pas un portrait musical, mais deux puisqu’il composa plus tard « Second Portrait of the Lion ». Le Lion lui rendit la politesse en 1957 en composant un « Portrait of the Duke ». Si vous vous rappelez bien, je vous avais déjà parlé de Wille « the Lion » Smith il y a quelques mois, dans ce blog, dans un article à propos d’une fameuse photo représentant quasiment tous les grands jazzmen. Willie Smith ressortait du lot… par son absence. C’est lui qui se reposait à côté du groupe alors qu’était prise la photo qui a ensuite été sélectionnée et publiée. La faute à pas de chance…

Le fait est qu’il était très fréquent que les musiciens de jazz se fassent mutuellement des hommages sous la forme de « portraits » musicaux. On vient de le voir entre Duke Ellington et Willie Smith, mais il en existe de nombreux autres comme « The Count » (portrait de Count Basie par Benny Goodman), « Portrait of Django » (portrait de Django Reinhardt par Lucky Thompson) voire même le comble de l’exercice dans « Portrait », le portrait de Charlie Mingus par lui-même… On a même des portraits musicaux de danseurs par des musiciens comme « Bojangles », le portrait de Bill « Bojangles » Robinson (fameux danseur à claquettes) par Duke Ellington ou encore « Taps Miller », le portrait de Marion Joseph « Taps » Miller (danseur à claquettes et trompettiste) par Count Basie.

Alors revenons un peu à notre « Portrait of the Lion » en tant que musique à danser. Il s’agit d’un morceau de swing traditionnellement joué à un tempo de 41 MPM (164 BPM) sur une durée de 2’31 (ce qui est assez court). C’est donc un lindy lent que l’on dansera généralement dessus car la section rythmique marque bien les bounces avec, malgré tout, une grande souplesse. On entend un contraste entre la pulsation régulière de la section rythmique et les irrégularités façon ragtime (qui rappellent le style fétiche de Willie Smith). Tiens, je vais me livrer ici à un petit exercice de « décorticage » de la structure rythmique du morceau. Cela pourra servir à une interprétation dansée la plus appropriée possible.

Je vais ici utiliser quelques termes techniques familiers aux musiciens de jazz (j’aurai peut-être l’occasion de faire un sujet dessus ultérieurement), néanmoins je remplace ensuite ces termes par des mots plus familiers aux danseurs sachant écouter la musique (et là, je passe sur le débat du manque d’écoute musicale dans les cours de danse en couple…). À la base, il faut savoir que la structure de base de ce morceau est de la forme ABAB sans pont. Chaque thème (ABAB) s’étend sur 16 mesures. Il y a une introduction ainsi que deux solos en dehors des parties assurées par l’orchestre tour entier. Voici la structure que l’on peut entendre (point de vue « musical ») :

  1. Introduction au piano (4 mesures)
  2. ABAB (thème) – orchestre (16 mesures)
  3. ABAB (chorus) – orchestre + piano (16 mesures)
  4. ABAB (chorus) – solo de cornet (16 mesures)
  5. ABAB (chorus) – orchestre (16 mesures)
  6. ABAB (chorus) – solo de saxophone alto (16 mesures)
  7. ABAB (thème) – orchestre (16 mesures)

Il peut être intéressant de calquer sur cette description une perception qui parle davantage aux danseurs. Voici ce que je vous propose (point de vue « danse ») :

  1. Introduction au piano (1 phrase = 2 x 8 temps)
  2. Thème 1 – orchestre (4 phrases = 8 x 8 temps)
  3. Thème 2 – orchestre + piano (4 phrases = 8 x 8 temps)
  4. Thème 3 – cornet (4 phrases = 8 x 8 temps)
  5. Thème 4 – orchestre (4 phrases = 8 x 8 temps)
  6. Thème 5 – saxophone alto (4 phrases = 8 x 8 temps)
  7. Thème 6 – orchestre (4 phrases = 8 x 8 temps)

Enfin, je vous mets en lumière quelques points qui peuvent permettre de danser des figures appropriées (à chacun de voir ensuite ce qu’il ressent).

  1. Introduction au piano
    Ici on ne danse pas, on attend la section rythmique de l’orchestre.
  2. Thème 1 – orchestre (4 phrases = 8 x 8 temps)
    Mise en place de la danse, figures plutôt simples. Il y a des notes un peu plus longues à la fin de la seconde phrase. Il est souhaitable de les marquer par des mouvements comme les slides ou un petit ralenti.
  3. Thème 2 – orchestre + piano (4 phrases = 8 x 8 temps)
    Le piano est mis en évidence ici et il est donc possible d’utiliser sa mélodie de temps en temps pour des rythmiques de jambes.
  4. Thème 3 – cornet (4 phrases = 8 x 8 temps)
    Sur le solo de cornet, il serait dommage de manquer de caler une rythmique de pas sur la mélodie ainsi que des figures correspondantes.
  5. Thème 4 – orchestre (4 phrases = 8 x 8 temps)
    Tout l’orchestre reprend et la section rythmique est bien audible, on peut donc reprendre des figures plus basiques et « calmer » le jeu.
  6. Thème 5 – saxophone alto (4 phrases = 8 x 8 temps)
    Comme pour le solo de cornet, il est possible de suivre le rythme mélodique de saxo et danser quelques rythmiques ou figures spéciales.
  7. Thème 6 – orchestre (4 phrases = 8 x 8 temps)
    On approche de la fin du morceau, on peut très bien de nouveau reprendre des choses simples pour finir la danse sur une impression sereine. Une petite figure finale comme un léger renversé sur les deux derniers temps pourrait être approprié.

Me voici donc à la fin de cet article mêlant diverses choses, entre culture générale swing et technique en rapport avec la danse. Avec ce petit exercice, j’ai essayé de vous montrer comment on part d’un morceau de musique pour arriver à une danse. Je ne vous ai pas donné d’enchaînement chorégraphique et j’aurais pu décortiquer encore plus, mais je voulais juste ouvrir quelques perspectives à ceux qui n’ont pas encore beaucoup mis en relation la musique et la danse. Ici, l’objectif est aussi de pouvoir improviser librement sur cette musique et, à chaque nouvelle écoute, de découvrir de nouvelles manières d’interpréter les subtilités des musiciens de swing en dansant à deux. J’espère, en tout cas, que cela vous aura donné l’envie d’aller plus loin dans l’écoute et la compréhension des musiques sur lesquelles vous dansez habituellement. Elles recèlent sûrement tout un tas de subtilités que vous ne soupçonniez peut-être pas. Et je ne parle pas que du swing, mais d’autres styles musicaux peuvent vous surprendre.

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