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Le bal populaire en France

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Bal 14 juillet dans les rues
Bal 14 juillet dans les rues

La danse et la musique ont évolué au fil du temps pour devenir des éléments essentiels de la vie sociale française tant du point de vue social que du point de vue culturel. Avant même de disposer de la radio pour écouter les chansons en vogue, chacun pouvait danser au son des instruments que les musiciens s’enorgueillissaient de faire sonner de belle manière pour leur audience.  Même si de nos jours les  soirées se passent souvent à la maison devant un écran, il ne faut pas oublier que le bal a été pendant longtemps une partie du lien social local dans chaque région et que bien des familles ont été créées suite à un rencontre dansante à cette occasion. Grand-parents, parents et enfants trouvaient eu sein du bal populaire, organisé à l’origine à l’occasion d’événements comme les moissons ou les mariages, un espace de liberté différent du cercle familial où l’on croisait des personnes de tous âges et de toutes origines.

Affiche 14 juillet 1880
Affiche 14 juillet 1880

Le 14 juillet symbolise le bal populaire par excellence, mêlant diversité sociale et citoyenneté. Mais les bals populaires ce sont aussi les festivités des moissons dans les campagnes, les fêtes familiales, les soirées dans les dancings, les bals des pompiers, etc. Pourtant ces manifestations de joie a priori anodines ont souvent été encadrées de manière stricte par les autorités.  Le premier bal du 14 juillet a été organisé en 1880 accompagné de fanions tricolores et de musique populaire jouée par un orchestre du haut d’une estrade. Cette fête a été créée par les autorités pour fédérer les citoyens français autour de le toute nouvelle Troisième république pas forcément acceptée de tous.

Estrade bal 14 juillet
Estrade bal 14 juillet

Les bals populaires ont lieu dans des endroits tels que les salles des fêtes, les places publiques et les terrains de sport, etc. Ils sont souvent organisés par des associations locales. Les danses traditionnelles y régnaient aux débuts, comme la bourrée auvergnate au son de la cabrette ou la gavotte bretonne au son du biniou, voire même diverses danses sur des mélodies a capella des chanteurs de villages. Les occasions de faire la fête et de danser offraient une soupape aux travailleurs harassés par le travail quotidien dans les champs, dans les mines ou à l’usine. Ils pouvaient ainsi se retrouver entre amis, faire des connaissance et danser dans une ambiance détendue, vêtus de leurs plus beaux habits. Et cela pouvait durer jusqu’au bout de la nuit. Ainsi, des couples de tous âges dansent sur une variété de musiques, des plus traditionnelles aux plus modernes. Les bals populaires sont aussi un moyen de rassembler les communautés locales et de renforcer les liens sociaux. C’est au bal populaire que se sont faites de nombreuses rencontres alors que dans la « vie de tous les jours » les gens se voyaient de loin. Mais cela ne se faisait pas toujours sans mal. Si les hommes étaient libres d’y participer sans restriction, les femmes de la fin du XIXe siècle avaient systématiquement un chaperon plus âgé, sans compter que certaines manifestations étaient organisées sous la houlette du clergé bien-pensant qui n’a pas apprécié l’arrivée des danses dites « modernes » comme la valse ou la polka avec leur position de couple rapprochée.

Bal parisien
Bal parisien

Revenons à ces fameux bals du 14 juillet du début du XXe siècle… Malgré les réticences du clergé, ce jour devient un jour férié dans tout le pays. Ce début de  XXe siècle est appelé « La belle époque »,
les lieux se créent autour de la fête à Paris et portent l’appellation de « bal » : bal du Moulin Rouge, bal du Moulin de la Galette, Bal Tabarin… L’entrée coûtait un franc à l’époque ! Les jambes se dévoilent petit à petit et offusquent les « Père Lapudeur » de l’époque à l’instar du clergé des années auparavant. À l’opposé, certains bals comme celui des Barrières est fréquenté par les Apaches avec leur foulard, leur casquette et leur manières pour le moins directes. On y danse la valse, la scottiche, la mazurka et, bien sûr, la danse des Apaches (voir l’article à ce sujet sur ce blog).

Bal Breton
Bal Breton

Dans certains quartiers parisiens, on retrouve différentes communautés venues chercher du travail à la Capitale : en premier lieu les Auvergnats avec leur cabrette, mais aussi les Italiens avec leur accordéon… Et voilà que naît le style de musique dit « musette » et la danse qui va avec, à l’opposé du tango fustigé par l’Église et réservé aux quartiers bourgeois. À l’orée de la 1ère Guerre mondiale, tout le monde danse à l’unisson dans les rues à l’occasion des bals organisés dans un état d’esprit insouciant.

Accordéoniste piano accordéon
Accordéoniste piano accordéon

Si la guerre désorganise les festivités dansantes, il n’en demeure pas moins que l’on danse toujours et parfois entre personnes du même sexe sans ambiguïté. Le Américains débarquent et apportent avec eux le jazz . Le 14 juillet 1919 est marqué par un défilé fêtant la fin de la guerre et accompagné par un bal populaire ouvert à tous. Il y a fort à parier que les personnes venues danser sont plutôt là pour décompresser que pour célébrer le pays. Dans la rue se côtoient la valse musette et le tango mondain au son de l’accordéon chromatique, instrument roi des bals populaires à partir de ce moment-là. À lui seul un accordéoniste est en mesure de transformer n’importe que lieu en bal musette et, par conséquent, les lieux à danser se multiplient.  Les Français se libèrent de toutes ces années noires grâce au bal afin de pouvoir renaître… d’autant plus que la journée de travail passe de 60 à 48 heures sur 6 jours cette année-là. La java s’ajoute peu à peu à la liste des danses avec le boléro et le paso doble, permettant à certains de s’encanailler au bal musette.  Pendant ce temps, pendant l’entre-deux-guerres, les classes mondaines préfèrent le jazz et dansent le foxtrot, le charleston, le black bottom ou le shimmy et investissent de nouveaux lieux appelés « dancings ». Les tenues féminines se raccourcissent encore pour permettre de mieux effectuer ces mouvements dynamiques venus d’Amérique. Dans ces années-là, la norme était qu’une jeune homme ou une jeune femme de 18 ou 19 ans sache danser pour pouvoir aller au bal.

Au début des années 1930, près d’un Français sur deux dispose d’une radio TSF. La musique pour danser devient donc accessible à toutes les classes sociales à domicile sans attendre une quelconque occasion. Cela n’empêche pas les Français de se rassembler dans les guinguettes des bords de Marne par exemple (Le Grand Cavana, chez Gégène, etc.), des lieux où se retrouvent des gens de toutes les origines. À Montmartre, le premier bal des pompiers est créé dans la caserne. Puis, les grèves ouvrières de 1936 servent de prétexte à l’organisation de bals quotidiens lors de l’occupation des usines qui conduira à la semaine de 40 heures et aux congés payés, avec par conséquent toujours plus de temps libre pour danser.

En 1939, la Seconde guerre mondiale éclate. Le Maréchal Pétain prône la « France d’avant » et ferme tous les bals et dancing par décret en mai 1940. Bien sûr, l’interdiction n’est pas suivie à la lettre dans les campagnes où des bals sont organisés dans les fermes isolées ou l’arrière salle des bistrots aux fenêtres calfeutrées. Le peuple a besoin de se changer les idées et de danser dans ces bals clandestins où l’accordéon fournit l’ambiance musicale. Dans les villes, occupées par l’armée allemande, c’est plus compliqué mais quelques irréductibles appelés les Zazous (voir l’article sur le sujet dans ce blog) continuent de danser en secret sur les musiques américaines en signe de rébellion.

Caves de Saint Germain
Caves de Saint Germain

Après le débarquement américain de juin 44 qui marque le retour de la paix en France, le général De Gaulle réinstaure le bal républicain du 14 juillet et les autres bals renaissent comme les bals des pompiers dans diverses villes ou le Balajo à Paris. En parallèle, certains suivent les traces des Zazous et vont danser le be-bop et le swing dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. L’après-guerre marque la nouvelle tendance des bals « où l’on veut, quand on veut », sans avoir à attendre un événement particulier (moissons ou 14 juillet par exemple). Les danses latines s’y intègrent progressivement : mambo, cha-cha, etc. Le bal populaire devient mobile, parfois en intérieur, parfois en extérieur, parfois sous tente, organisé par des professionnels. Il restera la première occasion de rencontre jusque dans les années 1970 puisque les jeunes utilisaient le bal comme lieu de rendez-vous. À la fin des années 1950, le rock’n’roll et les danses des yéyés venues des USA (madison, twist, etc.) reportent un franc succès chez les jeunes, boostés par les jukeboxes et les 45 tours, alors que les plus anciens restent attachés aux danses pratiquées jusque là dans les bals. Les discothèques se créent peu à peu pour donner à la jeunesse amatrice de rock’n’roll, de slow et des nouvelles danses un lieu pour danser avec des lumières tamisées et propice aux rencontres.

Bal traditionnel
Bal traditionnel

Les années 1970 marquent l’envie d’un retour à la nature et le renouveau de la musique folklorique et traditionnelle avec les danses associées. Les bals trads fleurissent en parallèle des soirées pop rock psychédéliques en discothèque où l’on se laisse aller. Puis les soirées en discothèque connaissent l’essor de la musique disco et l’âge d’or de ces établissements (plus de 4000 en France à la fin des années 1970). Face à ce raz-de-marée les bals populaires déclinent malgré les efforts et les subventions du gouvernement pour construire des salles des fêtes dans tout le pays. Ceux qui sortent en boîte de nuit se préparent longuement au préalable et on y va de plus en plus pour être vu et éventuellement y faire des rencontres. Même s’il y a beaucoup moins de discothèques de nos jours qu’à l’époque, la tendance continue dans ce sens sachant que les Français sortent moins, au profit d’une soirée Netflix en famille ou entre amis .

Danseurs de rock'n'roll
Danseurs de rock’n’roll

On peut à ce point se poser la question suivante : « le bal populaire  ne se cantonne-t-il de nos jours qu’au bal du 14 juillet ? ». Il me semble que la réponse est non. On retrouve les marqueurs du bal populaire dans de nombreuses occasions allant des soirées en boîte de nuit aux bals trad en passant par les soirées et festivals rock’n’roll, latino, swing ou encore country. Les gens sont là, venant de tous horizons, pour partager un bon moment, décompresser, danser, se retrouver entre amis et éventuellement faire de nouvelles connaissances. Ainsi s’il ne s’appelle plus « bal populaire » l’événement dansant contemporain en a encore tous les atours.

Malgré les différents points d’arrêt et interdictions dus aux crises traversées par les Français (le choléra en 1883, la 1ère guerre mondiale, la grippe espagnole en 1918, le 2e guerre mondiale et même récemment le Covid en 2020), la danse et les bals populaires ont conservé leur rôle essentiel dans la vie sociale des Français. Le bal populaire contribue indéniablement à la préservation et au développement de la culture française avec un impact positif sur la cohésion sociale. La danse et les bals populaires sous toutes leurs formes sont bien plus qu’un simple divertissement, mais ils sont également un élément vital de la culture et de la vie sociale française.

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Dansez-vous la java bleue ou celle de Broadway ?

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Nos (arrière-)grands-parents entendaient ces paroles chantées par Fréhel dans les transistors en 1938 et dansaient en tournant au rythme de la mélodie :

C’est la java bleue, la java la plus belle
Celle qui ensorcelle, quand on la danse les yeux dans les yeux
Au rythme joyeux, quand les corps se confondent
Comme elle au monde, il n’y en a pas deux
C’est la java bleue…

La java bleue
La java bleue

Créée en 1937 sous la plume de Géo Koger et Noël Renard, cette chanson a été mise en musique par Vincent Scotto. La Java bleueAcheter sur Amazon aurait pu être la seconde java de tous les temps, après « La plus bath des javas » sortie en 1925 et chantée par Georgius. On dit que cette java a été associée à la couleur bleue par référence à la valse brune de 1909 et, en réalité, cette chanson est bien une valse musette et non une java comme le laissent entendre les paroles et son titre. C’est une chanson que l’on peut néanmoins considérer comme un tube, car elle a été reprise maintes fois par des artistes aussi différents que Georgette Plana, Les Garçons Bouchers, Patrick Bruel ou Bézu… La Java bleue est aussi le nom d’un film (aussi nommé « Une Java ») de 1939 où Fréhel chante sa chanson en jouant le rôle  de la patronne d’un bal musette.

Position java, main dans le dos
Position java, main dans le dos

Alors, au fait, c’est quoi une java ? C’est tout d’abord une musique à trois temps, tout comme la valse, on parle d’une signature musicale 3/4 et on compte généralement 1-2-3, 1-2-3, etc. Mais c’est aussi une danse classée parmi les danses musette que l’on confond souvent avec la valse musette. La java partage un certain nombre de points avec la valse musette. En premier lieu, bien que les musiques pour les javas soient un peu plus lentes, les musiques sont très proches les unes des autres. Comme dans le cas de la valse musette, il existe un pas de change en java. La technique des pas de la java diffère de la valse musette dans le fait que la première ne comporte pas de pivots sur les plantes. Au lieu de cela, la java utilise des pas marchés ou courus : les pieds se posent donc dans leur position définitive sans que la semelle n’ait à glisser sur le sol. Au niveau de la technique des pas, il est donc souhaitable de toujours danser les pieds à plat. Cela implique de jouer un petit peu des hanches, ce qui donne cet aspect de danseurs qui se dandinent, parfois exagéré pour les démonstrations de java. D’une manière générale, les pas sont marchés, mais la java autorise de les transformer en pas courus (à l’allure de sautillements). Il faut néanmoins garder en tête que les pas (marchés ou courus) doivent rester petits. La java a en effet été faite pour danser dans les bals musette où la piste est bondée.

Mais continuons donc notre parcours des titres populaires autour de la java… Bien des années après La Java bleue, une autre java a été très populaire, il s’agit de La Java de BroadwayAcheter sur Amazon chantée par Michel Sardou en 1977.  Voici le début du texte de la chanson :

When we sing the java Saturday in Broadway
It swings like in Meudon
We are tired and we fly, no need for Beaujolais
If we got some Bourbon
It might not be the real true one
But it’s the Broadway one
But it’s the Braodway one
Quand on fait la java, le samedi à Broadway
Ça swingue comme à Meudon
On s’défonce, on y va, pas besoin d’beaujolais
Quand on a du bourbon
C’est peut-être pas la vraie de vraie
La java de Broadway
Oui, mais c’est elle qui plaît
La java de Broadway Sardou
La java de Broadway Sardou

Dans le refrain anglais, on parle de « chanter la java » et dans le texte français il est plutôt question de « faire la java », autrement dit faire la fête.  Et c’est ce dernier sens qu’il faut comprendre la chanson qui parle des soirées animées du quartier new-yorkais de Broadway connu pour ses spectacles et ses lieux de sortie. Donc rien à voir avec la java, d’autant plus que le rythme à quatre temps (4/4) de la chanson ne laisse pas davantage de doute sur le fait que cette mélodie ne soit pas une java. On danserait plutôt un rock’n’roll sur cette chanson pop de la fin des années 1970. Passons donc à autre chose…

Le jazz et la java Nougaro
Le jazz et la java Nougaro

Quand on y réfléchit, il y a encore une chanson de 1962 dont le titre et les paroles contiennent le mot java : Le jazz et la javaAcheter sur Amazon du Toulousain Claude Nougaro. Tiens, étrange, il n’est pas particulièrement connu pour ses chansons en relation avec une ambiance de type musette…

Quand le jazz est, quand le jazz est là
La java s’en, la java s’en va
Il y a de l’orage dans l’air, il y a de l’eau dans le
Gaz entre le jazz et la java

Les paroles abordent la disparition de la java au profit du jazz dans les lieux de sortie. Il est vrai qu’avec l’évolution de l’urbanisation, celle des modes et tendances et l’arrivée des technologies, les instruments associés au jazz ont peu à peu pris le pas sur les accordéons plutôt présents dans les campagnes. Le jazz est devenu assez élitiste alors que l’accordéon musette est resté associé aux milieux les plus populaires. Il faut tout de même noter qu’à l’âge d’or du swing, toutes les classes sociales aux États-Unis pouvaient danser au son des orchestres jazz/swing qui n’était donc pas une musique réservée aux classes les plus hautes. Rappelons que ce sont les noirs Américains de Harlem (il étaient loin d’être les plus riches…) qui ont développé une danse comme le lindy hop sur du swing. De même, de l’autre côté de l’Atlantique, les bals musette ont-ils été fréquentés en France par les classes populaires à la même époque. La Seconde Guerre mondiale a permis au jazz/swing de traverser l’Atlantique et les deux styles musicaux ont été mis en contact, mais ont continué à évoluer en parallèle. Le jazz/swing est devenu à la mode (puis le rock’n’roll qui en est issu) dans les grandes villes avides de nouveauté, le style musette et la java sont beaucoup restés à la campagne ou dans les guinguettes aux abords des grandes villes.

La mélodie du refrain de la chanson de Nougaro est la copie conforme  de celle du titre de 1959 Three To Get Ready du jazzman Dave Brubeck qui mélange les signatures musicales 3/4 (java) et 4/4 (pop & jazz/swing pour simplifier) et tente de concilier les deux formes dans un seul titre. C’est le genre de difficulté que les jazzmen aiment bien en guise d’exercice de style.  L’essentiel de la chanson est en 3/4 et peut se danser en java et seule la mesure de fin de refrain est en 4/4. On peut donc dire que cette chanson est dansable en java moyennant une petite adaptation ponctuelle !

Partisan de la cohabitation des différentes formes de musique et de danse, comme vous le savez sûrement à présent, j’aime bien la seconde moitié du texte de Claude Nougaro qui dit :

Pour moi, jazz et java, c’est du pareil au même
J’me saoule à la Bastille et m’noircis à Harlem
Pour moi, jazz et java, dans le fond, c’est tout comme

Pourquoi devrions-nous prendre parti pour une musique ou une danse plutôt qu’une autre ? On peut aimer le swing sur lequel on peut danser le lindy hop dans les clubs de jazz, mais aussi la java qui nous fait tourbillonner dans les guinguettes populaires ! Et je conclus en vous renvoyant à un article que j’ai écrit dans ce blog il y a un moment, à propos du fait de faire swinguer des titres à l’accordéon. Finalement, des trois chansons ayant servi de base à cet article, aucune n’est donc une vraie java à 100%. Ce n’est pas parce qu’il y a le mot java dans un titre que l’on peu danser la java dessus. Et, à l’inverse, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas le mot java dans le titre ou les paroles d’une chanson qu’il ne s’agit pas d’une java (et il y en a beaucoup dans ce cas, qu’on se rassure !). Les apparences sont parfois trompeuses !

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L’accordéon et la musette

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J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans un article précédent, l’accordéon est l’instrument roi des bals musette. Mais, si l’on regarde la fiche consacrée à l’histoire de la valse musette sur UltraDanse.com, on découvre que musette n’est pas forcément synonyme d’accordéon. J’ai donc décidé aujourd’hui de vous en dire plus sur cette curiosité qui intrigue souvent les danseurs peu au fait de l’histoire.

Au début était la cornemuse, un instrument à vent composé de trois ou quatre tuyaux sortant d’un sac en peau de chèvre ou de mouton que l’on remplit d’air. L’un des tuyaux sert à gonfler le sac à la bouche, un autre est percé de trous comme une flûte et permet au sonneur de faire les différentes notes ; enfin, les autres font une note permanente (on les appelle les bourdons). Ce type d’instrument était déjà connu dans l’Antiquité et, au Moyen-Age, on l’appelait « muse ». Plus tard, les Écossais et les Irlandais l’on appelé « bag-pipe » (« tuyau à sac ») et les Bretons le nomment « biniou » ou « biniou braz » (la grande cornemuse). Comme son nom pourrait le suggérer (mais c’est une mauvaise piste, comme nous allons le voir plus loin), la musette est une petite cornemuse composée de deux tuyaux à trous et d’un tuyau à son unique. Le tuyau dans lequel on souffle dans le cas de la cornemuse n’y existe donc pas et l’entrée de l’air dans le sac de cuir était assurée par un des soufflets que l’artiste plaçait sous ses bras. En Auvergne, patrie des hommes à l’origine des guinguettes parisiennes, cet instrument était également appelé cabrette, rapport au cabri dont on utilisait la peau pour fabrique le sac à air.

Le nom musette provient en réalité du patronyme de son inventeur supposé, Colin Muset, un ménestrel français du XIIIe siècle. L’époque nous dit qu’il n’est pas l’inventeur de la cornemuse, mais simplement de la variante appelée musette. Le point commun entre la musette et l’accordéon est le soufflet qui permet de gérer l’air propulsé dans l’instrument. Mais la ressemblance s’arrête là, car la musette n’est en aucun cas l’ancêtre de l’accordéon. L’accordéon est plus ou moins issu de l’harmonica sous l’impulsion de l’Autrichien Cyrill Demian qui eut l’idée de remplacer le souffle humain par un « souffle » mécanique. Habitant de Vienne et associé à ses deux fils Carl et Guido, ce dernier déposa un brevet en 1829 décrivant un instrument nommé « accordion ». Le brevet le décrit comme consistant « d’une petite boîte avec des hanches de métal et un soufflet qui lui est rattaché de manière à pouvoir être facilement transportée » (traduction personnelle). Suivant un flot constant de brevets autour de cet instrument, divers contributeurs le feront évoluer, dont des Anglais, des Italiens et des Français. L’accordéon a ainsi connu de très nombreuses étapes avant de parvenir au stade de l’instrument que nous connaissons de nos jours.

La fin du XIXe siècle est marquée par une forte rivalité à Paris entre les joueurs de cabrette (les cabrettaires) et les joueurs d’accordéon (les accordéonistes) dans l’animation des bals musette. La rue Lappe est le théâtre de certaines scènes clefs. Les riches sonorités de l’accordéon diatonique tenu par l’Italien Félix Peguri s’opposent à la cabrette classique de l’Auvergnat Antoine Bouscatel (le moustachu représenté un peu plus haut). Peu à peu, l’accordéon remporte le match car les airs qui en sortent sont vifs et très entraînants. En effet, l’accordéon diatonique fait un son différent selon qu’on pousse ou qu’on tire sur le soufflet et confère un style bien particulier aux morceaux joués. Le mot « musette », lui, est resté attaché au style musical associé à l’accordéon, bien que ce dernier ait bien vite été aussi utilisé dans un contexte de jazz. On dit que le mot musette est resté parce que c’est aussi le nom donné au petit sac où l’on rangeait l’accordéon diatonique au début du XIXe siècle. Par la suite, l’accordéon a été mis à toutes les sauces : jazz, pop, rock. Sa variante chromatique permet en effet de jouer les demi-tons en plus des sept notes d’une gamme. Non seulement les grands noms de l’accordéon des années 50 étaient de la partie (Marcel Azzola, Yvette Horner — même relookée par Jean-Paul Gaultier en 91 —, André Verchuren, Aimable, etc.), mais aussi de nouveaux venus plus « rock » dans les années 80 comme les Garçons Bouchers, les Négresses Vertes, Blan Kass et Gérard Blanchard (et ses fameuses grottes de Rocamadour…). On parle alors aussi de « piano à bretelles » pour faire plus moderne car les touches rectangulaires blanches et noires ont fait leur apparition sur l’instrument. Cela dit, en dehors des bals populaires et des bals tango, l’accordéon (quel que soit son type) n’est plus le roi des instruments aujourd’hui. L’informatique et les synthétiseurs sont passés par là.

Bien sûr, parallèlement à tout cela, la danse a, elle aussi, évolué. Je vous laisse en découvrir la manière par vous-mêmes en lisant les quelques pages de présentation de la valse et de la java, que j’ai écrites à l’occasion de mon nouveau livre (dont je vous parlerai un peu dans mon prochain article). Mais pour cela, il vous faudra vous le procurer… Disponibilité prévue la semaine prochaine.

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De la musette à la guinguette

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S’il y a un mot qui rime avec musette c’est bien le mot guinguette. Typiquement français, ces lieux ont fait les beaux jours des sorties des Parisiens mais aussi des habitants des régions françaises durant les 19e et 20e siècles. On imagine très bien les familles de délassant au bord de l’eau tandis que d’autres personnes tournoient sur la piste de danse aux flonflons des accordéons jouant de la valse musette ou de la java. Comme ces danses (en plus de la valse viennoise et de la valse lente) constituent le sujet de mon nouveau livre technique à sortir en fin d’année, je vous propose de découvrir l’univers où on les a pratiquées des années durant.

L’histoire des guinguettes commence à Paris dans les années 1700. Ce sont à l’origine des établissements qui servent du guinguet, un vin des environs de Paris soi-disant « tellement aigre qu’il fait danser les chèvres »… On y trouve généralement une petite piste de danse pour ceux qui le souhaitent. Le Petit Larousse fait donne une autre étymologie que je vous livre ici. Le mot proviendrait de l’ancien français guinguet qui signifie étroit. Et d’en donner la définition suivante : « lieu de plaisir populaire […], débit de boissons où l’on peut danser, généralement en plein air ». Du fait de considérations fiscales, les guinguettes s’éloignent progressivement du centre de Paris à la fin du 18e siècle. À cette époque, et durant tout le 19e siècle, on y danse la contredanse et le quadrille (avec son cancan) au départ, puis apparaissent la valse (viennoise), la mazurka, la polka et la scottish. Nous sommes encore loin de l’image de carte postale des bords de la Marne car les origines liées aux cabarets sont encore présentes dans ces établissements.

À la fin du 19e siècle et jusqu’à la Première Guerre mondiale, les guinguettes sortent de Paris et abordent la banlieue et en particulier les rives des fleuves et rivières. La plupart sont localisées sur les bords de la Seine et de la Marne. Le canotage prend une place très importante dans les guinguettes qui proposent également un cadre pour les activités du dimanche : pêche, baignade, etc. Les animations musicales sont faites par des orchestres composés d’un piano, de violons, de clarinettes ou de pistons. D’autres danses sont introduites : le boston (valse ayant fait un petit tour par les USA), la matchiche (ou maxixe) brésilienne, le tango argentin, mais aussi d’autres danses importées des USA comme le cakewalk, les danses animalières, le one-step et le two-step. Les guinguettes rivalisent d’imagination pour attirer les familles en recherche de dépaysement : promenades à dos d’âne, cabanes dans les arbres et espace pour danser. L’ambiance de l’époque est particulièrement bien rendue dans le table de Renoir « Le Moulin de la Galette » (ci-contre) en 1876.

L’entre-deux-guerres correspond réellement à l’image de carte postale des guinguettes : bords de rivière, canotiers, petit vin blanc. Ajoutons à cela le fameux accordéon qui remplace la musette (petite cornemuse). Les rythmes des dancings envahissent les guinguettes : foxtrot, charleston, one-step, paso doble. Dans le même temps, de nouvelles danses typiques du style musette se développent : la valse musette (et sa fameuse toupie), la java et le tango musette. La java en particulier porte une image du marlou (qui fait parfois partie des Apaches, sur lesquels j’ai déjà écrit quelques mots dans un article précédent) avec sa casquette et son air débonnaire qui danse avec une fille qui lui est soumise. C’est aussi l’époque de la valse chaloupée, appelée aussi danse apache, mais qu’on ne pratique normalement pas dans les guinguettes… Les bals musette des guinguettes s’ouvrent petit à petit et deviennent des bals populaires. La batterie jazz fait son entrée après la Première Guerre mondiale et donne une nouvelle dynamique aux danses que les danseurs payaient à l’unité.

La Seconde Guerre mondiale contraint malheureusement à la fermeture la plupart des guinguettes qui rouvrent petit à petit à partir de 1945. Les conditions économiques sont différentes et les musiciens légalement être déclarés, ce qui entraîne la disparition des grandes formations. L’industrialisation et l’évolution de la société ne favorisent pas la fréquentation des guinguettes. Le rock envahit les ondes radio et la télévision et certaines d’entre elles sont transformées en dancings où la musique américaine est reine. Les années 80 verront un retour de l’accordéon musette et le métissage des styles musicaux comme le mélange du jazz et de l’accordéon, mais les guinguettes survivantes ne connaissent le succès que du fait de leur image délicieusement rétro généralement associée à l’accordéon musette.

Voici donc le résumé du point de vue de la danse de l’histoire des guinguettes. Il y a un très bon ouvrage sur le sujet dans le commerce« Mémoire de guinguettes » avec beaucoup d’illustrations et qui donne plus de détails sur le sujet. J’avoue m’être en partie inspiré de celui-ci pour rédiger ce billet car les illustrations replongent le lecteur dans l’ambiance des différentes époques.

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Une musette qui swingue

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Cette fois, je vais vous parler d’un musicien qui me permet de faire la transition entre le thème swing du dernier livre que j’ai édité et le thème du projet sur lequel je travaille actuellement : la technique de la valse (aussi bien celle de la valse viennoise que celle de la valse musette). Si le mot « musette » est automatiquement associé aux guinguettes (dont je vous parlerai dans un autre article) et à l’accordéon, ceux qui ont parcouru l’article consacré à l’accordéon et la musette sur ce site auront sûrement appris les origines de ce mot. Je n’y reviendrai donc pas. Cependant, la musette (l’accordéon) a été utilisée pour jouer d’autres styles de musique que la valse ou la java. Le musicien Gus Viseur en fut le plus parfait artisan.

Gustave « Gus » Viseur est né en mai 1915 à Lessines, en Belgique. Son père, Adolphe, jouait de l’accordéon en amateur (il était mouleur de pierre de profession) et cela a sûrement incité le jeune Gustave (surnommé aussi « Tatave ») à apprendre à jouer de cet instrument. Après avoir pris des cours (en particulier à Suresnes), il joue dans le petit orchestre familial, le Jojo Jazz. Il passe ses premières années de musicien à parcourir la région parisienne qui fourmille de bals musette, de dancings, de foires, etc.. Il lui arrive d’accompagner des chanteurs et chanteuses (dont Édith Piaf en 1940) et de jouer du bandonéon dans des orchestres de tango argentin. Bref, Gus Viseur s’intéresse à tout et fait son expérience.

À l’âge de 18 ans, il découvre le jazz et l’improvisation. Il va alors se laisser séduire par cette manière de faire de la musique. Il délaisse petit à petit le style musette au profit du jazz et devient l’un des pionniers de l’accordéon-swing. Il connaîtra les grands noms du jazz manouche comme Django Reinhardt, les frères Ferret ou Gus Deloof. Il fera un long séjour sur le continent américain avant de revenir à Paris. Décédé en août 1974, il reste probablement le premier accordéoniste à avoir été accueilli sans réserve dans le milieu des musiciens de jazz. Par la suite, d’autres seront séduits par ce style, parmi lesquels on trouve Jo Privat ou Tony Murena.

Il y a un disque regroupant quelques enregistrements de Gus Viseur dans le domaine du jazz musette que je peux vous conseiller : « Gus Viseur à Bruxelles ». Je vous laisse découvrir d’autres de ses enregistrements disponibles, sachant que l’on peut trouver certains titres indépendamment dans des compilations de musette. Pour revenir, à ce que j’écrivais au début de cet article, je vous conseille d’écouter attentivement le titre « Swing valse » joué par Gus Viseur (le son du lien YouTube ci-dessous n’est pas très bon, achetez plutôt le CD…). Peut-être parviendrez-vous à comprendre ce que c’est qu’une valse qui swingue (un concept dont il est l’inventeur).

Les amateurs de jazz et d’accordéon ne sont généralement pas les mêmes. Il est vrai qu’il y a peu de big bands dans les guinguettes. D’ailleurs, ne trouvait-on pas des panneaux indiquant « Interdiction de danser le swing » à l’entrée de certains établissements ? Il est vrai qu’un lindy hop ou un be-bop prend plus de place qu’une petite danse collée serrée. Cependant, la musique de Gus Viseur réconcilie deux mondes qui ne pensent pas pouvoir cohabiter. Le secret réside en réalité dans son instrument, modifié afin de rendre mieux les sonorités du jazz. En effet, Gus Viseur jouait « sur une lame », cela signifie qu’il avait limé une lame de son accordéon afin d’utiliser deux fois le la à 440 Hz là où les musiciens de musette l’utilisent trois fois à 436, 440 et 443 Hz. La sonorité de son instrument devenait donc compatible avec des mélodies swing. Mais cela n’aurait probablement pas suffi sans son excellent sens de l’improvisation, nécessaire à tout jazzman.

Je souhaite un bon été à tous ceux qui vont fréquenter les pistes de danse et les festivals, peu importe le style de danse pratiqué : swing, musette… ou les deux !

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